les mots sanglants + elliot

Un autre courant d'air que laisse passer la porte branlante du bar. Des rires d'ivrognes qu'Eve ignore encore ce soir. Sa main se resserre sur le chiffon qu'elle tient dans ses mains désormais abîmées, la rage toujours au seuil de son faux calme. Eve qui a envie d'envoyer valser son masque pour laisser passer sa peur et ses secrets. Parfois elle se dit que ce n'est pas rave si elle parle, que ce sera sûrement plus facile d'assumer les cauchemars après. Mais quand elle observe le calme qui règne à nouveau, cette ville où il ne règne rien d'autres que des gens paisibles et qui, en un sens, l'apaise, elle sait qu'elle ne peut rien dire. Pas aujourd'hui. Jamais peut-être. Puis les autres lui en voudraient, elle n'est plus seule dans ce bateau qui prend l'eau, se noyer seule, oui mais en emportant ses secrets avec elle. La main s'agite sur une autre table délaissé, des pintes de bières à moitié entamées et le champ de bataille de la bouffe abandonnée par d'autres ados irrespectueux. Elle serre les dents la blonde devenu muette, elle est descendue bien bas l'étoile. Plus rien qui ne brille juste le début d'un sourire où suinte la mélancolie et le regard hagard d'angoisse. Celui-ci glisse encore vers ceux qui chuchotent non loin d'elle. Les seuls encore assez sobres pour éviter de foutre le bordel. Sûrement que son calme se fissurerait un peu plus vu l'heure. Rentrer maintenant ne lui fait pas peur, la nuit est plus rassurante, elle dissimule tout, ses maux et son crime. D'un geste nerveux, elle repousse une mèche dans un soupir agacé alors qu'elle revient derrière le bar, l'envie pressante de s'en aller et retrouver son appartement, même si il ne brille plus de richesse et si ses fringues sont bons marchés, elle évite de cracher sur ce qu'elle a encore : sa liberté. Puis son cœur rate un battement quand une main frappe trop brutalement le plat de la table où s'aligne les derniers clients. Elle a peu l'envie de les renvoyer, ses lèvres se pincent alors que ses yeux fouillent les visages tendus de chacun. L'anxiété s'empare de son corps alors qu'elle tente de reprendre sa tâche, essuyant les derniers verres lavés mais elle est curieuse Eve, toujours un peu trop, tente de décrypter ce qu'il se dit et les voix s'élèvent comme si elle n'existait pas. Sûrement qu'elle devrait leur dire de baisser d'un ton ou de partir mais le sujet semble bien trop sérieux et elle voit en l'expression de certains la même que la sienne quelques semaines auparavant, la pâleur de leur peau et la détermination des autres. Corps, nuit, percutés. Elle est peu sûre de ce dont elle devient soudainement témoin. Et elle laisse éclater un verre au sol, s'attirant les regards des autres, le souffle court. Ça a simplement glissé, rien d'autre. Un instant de pause alors qu'elle baisse les yeux, faisant mine de reprendre son travail. Elle n'a rien vu, rien entendu. Mais elle a toujours su que l'Enfer n'était jamais trop loin d'elle.